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Orlando Consulting

25 juin 2012

Le deuxième pas

 

23 septembre 2011 (82)

On a coutume de dire que c'est le premier pas qui compte. Que le premier mouvement vaut et déclenche tous les autres. Et qu'aussi long soit le chemin, il commence toujours par un premier pas.
C'est vrai, mais ce n'est pas suffisant. Nous connaissons tous des grands spécialistes des premiers pas

Je ne parle pas ici des vélléitaires qui projettent, promettent, caquètent et salamalecs sans jamais s'ébrouer. Pieds cimentés, ils agitent les bras, certains que la foule les prendra pour des actifs, des dynamiques et pourquoi pas des leaders. Ils ne sont qu'illusion de mouvement, écume et parade.

Il n'est pas plus question, ici, des penseurs-observateurs à qui l'idée suffit. Ceux qui ne perdent pas leur temps à concrétiser l'abstrait, qui trouvent même assez vulgaire la mise en application d'une pensée. Ils se contentent d'affirmer que le génie, c'est la lumière et que le reste est terriblement dérisoire. Et ils en fournissent la preuve en enfilant les idées comme des perles, les unes après les autres, éternellement. Constructeurs satisfaits de colliers des Danaïdes, ils offrent leurs graines à qui veut bien les faire pousser, à qui, selon eux, ne peut s'élever au-dessus du statut d'exécutant, d'ouvrier du "faire".


Mais alors, qui sont donc ces grands spécialistes du premier pas ? Eh bien, ce sont les handicapés du deuxième. Ceux qui ont bien écouté les leçons des donneurs qui prolifèrent et dont il serait malhonnête de ne pas accepter qu'on fait, parfois, soi-même partie du lot.

On leur a bien dit de bouger ce mollet passif, de dérouiller ce genou ankylosé, d'avancer ce pied inerte. Alors, ils ont fini par le faire. On leur avait prédit un miracle, un effet déclencheur de succès sans fin, un pas qui ferait des petits à l'infini. Ils l'ont fait et se sont arrêtés. Ils ont attendu le cadeau, le retour sur investissement. Et rien n'est venu.

A ce stade, tout deuxième pas n'était plus qu''un nouveau premier. Et de volonté d'un deuxième, ils collectionnent les premiers. Au lieu de leur apprendre l'engagement, on leur a appris le mouvement sur-place. Au lieu de les voir courir sur les chemins de la découverte, on les retrouve sur des tapis de course à l'horizon immuable.
Alors si le premier pas est indispensable, le suivant est tout aussi important, comme le suivant, et le suivant, et le suivant, et le suivant...

 

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16 juin 2012

La mode est au grégaire

02 février 2012 (7)

Brainstorming. Émulation de groupe. Travail en équipe. Club. Association. Troupe. Troupeau. Chorale. Groupe de travail. Motivation mutuelle. Chapelle...
La liste est longue des formules à la mode et des regroupements rassurants.

Je n'ai rien contre rien. Sauf, lorsqu'on cherche à imposer que le regroupement serait plus efficace ou plus humain ou plus formateur ou plus ceci ou plus cela.
Que l'union fasse la force, je ne dis pas le contraire, s'il s'agit de sortir un arbre de la chaussée. On pourrait s'y mettre à trois mille les uns après les autres, l'arbre pourrait dormir tranquille.

En revanche, j'ai toujours constaté que pour moi, le groupe constituait un frein dans les activités intellectuelles.
D'abord, par les salamalecs obligatoires : Il faut se voir, se dire bonjour, se faire la bise, apporter un gâteau, commander un café, demander si les enfants vont bien... Pendant ce temps-là, l'idée peut se faire la malle, lorsqu'elle ne naît pas morte. 
A se bouffer son énergie à tout observer autour, vérifier que sa braguette est bien fermée, tester le niveau de maturité de x, puis de y, etc. etc. supporter le manque d'esprit de synthèse de l'un, calmer les excès de langage de l'autre, gérer le manipulateur... Quelle perte de temps ! Quand est-ce qu'on se met au travail ?

Il y a deux choses auxquelles j'apporte bien plus de crédit qu'aux réunions de troupeau, qui vont donner une pensée édulcorée, faiblarde, fade. ("la pensée mise en commun est une pensée commune" disait l'autre)

En premier lieu, je crois à l'addition de pensées individuelles, autonomes et libres. L'expression profonde de chacun posée sur la table en self-service alimentera celui qui veut bien se servir et faire évoluer la sienne. Elle sera forcément plus authentique, plus saine. Humaine et pas conventionnelle.

En second lieu, le tête-à-tête. Il permet bien des choses. Les yeux dans les yeux expriment, qu'on le veuille ou non, une part de vérité. On questionne, on gratte, on fouille, on échange vraiment. On a affaire à un individu, entier. On peut faire tomber le masque social, construire des ponts entre toutes les facettes, s'approcher de sa vérité. Du coup, chacun se livre un peu plus. Donc chacun se délivre un peu plus.
On peut atteindre ou s'approcher de l'âme, que l'oreille trouve aussi voisine de femme que d'homme.

Je n'ai jamais compris ce besoin de se réchauffer sous des étiquettes. Il me semble que le groupe étouffe l'individu. Il l'enferme. Parfois le pervertit. Il réchauffe les frileux et rassure les peureux.
On peut penser autrement et plus nombreux sont d'ailleurs ceux qui pensent autrement.
Mon opinion n'est pas vérité, elle est mon opinion.

C'est souvent dans les groupes qu'on retrouve ceux qui confondent "individualisme" et "égoïsme". J'ai dans l'idée qu'il y a plus d'égoïsme chez ceux qui se regroupent que chez les autres. Mais, ce serait trop long à développer. Une autre fois, sans doute.

Ce grégaire qui, lui, voisine avec guerre, ne m'inspire rien de bon.

11 juin 2012

C'est pas assez

09 juin 2012 (3)2 plus 2 a demandé la maîtresse
Trop facile a pensé l’enfant, c’est pas assez
Alors il a cherché autre chose.
Il a suivi la courbe du 2, le coude, la base. 
Il a recommencé avec le second. 
Rien. L’enfant n’a rien trouvé.
Alors, l’enfant s’est cru bête. Le moins intelligent de tous. 
Mais a cherché, cherché encore.
Quand, au premier rang, quelqu’un a répondu : 4
Quelqu’un fut félicité et quelqu’un eut le bon point.
C’est pas assez, pensa l’enfant.

Expliquez  "Le dormeur du val" a demandé le professeur.
Trop facile a pensé l’enfant, c’est pas assez
Alors il a cherché autre chose.
Tout son être traversé par la poésie, par l’odeur, les sons, les deux brûlures au côté droit. 
Trop facile. Pas assez. 
Rien. L’enfant n’a pas trouvé.
Alors, l’enfant s’est cru creux. Le plus vide de tous. 
Mais a cherché, cherché encore.
Quand, au premier rang, un autre a dit que le soldat ne dort pas, il est mort.
Un autre fut félicité et un autre fut valorisé.
C’est pas assez, pensa l’enfant.

Vous avez 30 minutes a dit le recruteur.
L’enfant finit en 10 et ne dit rien. 
Il chercha autre chose. 
Trop facile. Il ne trouva pas.
L’embauche eut lieu. Résultats exceptionnels.
C’est pas assez, pensa l’enfant.

Vous êtes très ambitieux a dit la graphologue
Vous allez pouvoir gagner beaucoup d’argent.

C’est pas assez, pensa l’enfant. 
Triste ambition. Erreur. 
L’enfant fuit.
L’argent fut pour un autre, moins ambitieux.
C’est pas assez, pensa l’enfant.

Vous écrivez bien, vous pourriez persévérer, éditer, devenir célèbre.
C’est pas assez, pensa  l’enfant.

Vous n’avez que 20 ans et 4 personnes sous vos ordres.
Votre travail est exemplaire. 
Personne n’a eu ce poste avant d’être trentenaire,
 a dit le directeur.
C’est pas assez, pensa  l’enfant.

Vous avez bien élevé vos enfants, vous êtes un mari exemplaire, vous ferez un magnifique grand-père. 
Reposez-vous maintenant,
 a dit l’entourage.
C’est pas assez, pensa l’enfant.

Vous avez réussi de belles choses, vous êtes apprécié.
Vous êtes original, soyez satisfait,
 a dit la rumeur.
C’est pas assez, pensa  l’enfant.


Vous êtes prétentieux à la fin ! 
Vous vous prenez pour qui ?
 a crié le lecteur.
Pour un enfant, a dit l’enfant.



14 avril 2012

Toujours mieux

P1070335Tout ce qui a déjà été amélioré peut être encore amélioré.

On t'a dit doué et cela t'a suffi. Dommage, tu aurais pu être compétent.
On t'a dit compétent  et cela t'a suffi. Dommage, tu aurais pu être talentueux
On t'a dit talentueux et cela t'a suffi. Dommage, tu aurais pu être génial.
On t'a dit génial et cela t'a suffi. Dommage, tu aurais pu être divin.
On t'a dit divin et cela t'a suffi. Dommage, tu aurais pu être Dieu.
On t'a vu dieu et cela t'a suffi. Dommage, tu aurais pu être Homme.
On t'a vu Homme et cela t'a suffi. Dommage, tu aurais pu te rencontrer.

Mais quelle idée ! C'est quoi cette prétention, cette course en avant, cette ambition sans limites, ce toujours plus ?
Prouver quoi, à qui ? Je me repose quand moi ?

Qui t'a dit que tu étais là pour te reposer ? Pourquoi penses-tu qu'on évolue pour prouver ? Et si c'était du toujours mieux, pas du toujours plus ?

N'importe quoi ! On ne peut pas tous être en haut de l'échelle. On n'a pas tous les capacités de se surpasser. Pense plutôt aux autres.

Qui t'a fait croire que tu ne disposais pas des mêmes ressources que les autres ? Pourquoi ne pas croire que si quelqu'un l'a fait tu peux le faire ? Et si c'était altruiste de s'améliorer.

Oh ça va ! Si c'était vrai, tu n'en serais pas là où tu es. En plus, moi je ne t'ai rien demandé.

Tu es sûr ?

Bon, ça suffit, je n'ai pas envie d'être méchant. Et puis, tu m'énerves. Salut. Je vais me débrouiller tout seul dorénavant.

Tu vois bien que tu peux toujours mieux.

13 avril 2012

Triste ambition

 

P1070333Elle est de ceux qui ne voient que ce qui se voit et pensent qu'il faut être très tordu pour inventer ce genre de phrases. Elle prend sa pensée primaire pour de la simplicité et sa spontanéité pour de la sincérité. D'aucuns diraient qu'elle est idiote, mais ils se tromperaient. Elle est seulement ce qu'elle est. C'est du moins ce qu'elle dit. Cherchez à mieux la comprendre et elle vous trouvera compliqué, lorsque vous n'êtes que salutairement complexe. Vous fonctionnez dans le mouvement, vers un but, recherchant des solutions pour rendre la vie belle et simple. Elle vous voit comme un coupeur de cheveux en quatre qui retourne les cerveaux.Vous finissez vous-même par dire qu'elle est idiote. Et vous vous trompez. Rangez vos références, son monde est statique, construit de certitudes saines et rassurantes et pourtant sectaires et individualistes. A toute tentative de remise en question, d'appel à l'ouverture, elle sort l'arme fatale, celle qui est censée vous faire taire sur le champ : Tout est goûts et couleurs, ce que vous dites n'est bon que pour vous et chacun est différent. Vous aviez pourtant pris la précaution de n'avancer que ce qui est partageable, compréhensible par tous, validé par des éminences, objectivement démontrable. Cela n'a pas suffi. Ne lui enlevez pas ses tuteurs, elle s'étiolerait. Si, couche supplémentaire, vous lui expliquez son mécanisme de défense, sa vulnérabilité démasquée sort l'artillerie lourde et le primaire explose comme pour mieux vous donner raison.Vous tempérez votre jugement et la pensez basique. Soit, elle est basique. Mais taisez-le que diable ! Sa réaction risquerait de vous le confirmer par décibels et agressivité interposés. Sa culture se résume aux aphorismes-vérités interprétés à sa propre sauce ; rassurants et encourageants, ils peuvent accompagner une vie comme les proverbes, dits de bon sens, accompagnèrent celle de ses aïeux. Voilà, c'est son bagage, elle fait avec et ça lui suffit. Comme l'homme des bois vit d'instinct, d'une bite et d'un couteau, elle, vit de réactions, de trois croyances et mille certitudes.Osez lui dire que la plaine est morne, que gravir la montagne renforce, qu'au-delà des sommets le soleil éclaire, que la curiosité construit, que la culture affirme et que le risque récompense, et vous lui faites plus de mal que de bien. Ajoutez que se laisser vivre, c'est se laisser mourir et votre compte est bon, vous n'aimez que les mots, pas les gens. Alors, pissez dans d'autres violons, celui-là n'émet aucun son. Bois mort, il ne vibre pas. Il n'est qu'instrument, pas musique.

 

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9 avril 2012

Patrice et les calanques

P1040788La nuit est bien noire déjà sur la Calanque d'En-Vau. Les quelques dizaines de campeurs ont plongé dans les duvets. Le silence est protecteur et le "Doigt de Dieu", obélisque rocheux naturel, veille sur la crique.
Tout est calme et serein.
Les grappes de sangles, mousquetons et coinceurs ne s'entrechoquent plus. Elles ont fini de jouer leur partition en une dernière envolée percutant le rocher. Elles y passeront la nuit.
Les grimpeurs fatigués ne tarderont pas à trouver le sommeil. Ils compteront les étoiles et, comme des enfants, se disputeront la victoire quand il s'agira de reconnaitre les constellations.

Parmi eux, deux curiosités se feront engueuler le lendemain, pour avoir papoter toute la nuit. L'une d'elles, moniteur de son état a trouvé son public en l'autre, jeune homme un peu gauche, mais curieux et ouvert, assoiffé de savoir.
Alors, Patrice raconte.

Son enfance à Compiègne. La maladie. Les hôpitaux. Le désarroi de la mère. Le mystère pour les médecins. Le handicap. L'immobilité. Et l'impasse. Et l'angoisse.
Seuls les miracles viennent à bout des mystères. Il le croit. Ils le feront.
Les médicastres ayant jeté l'éponge, la mère s'accroche à tout, comme toutes les mères. De sorcières en grigris, de prières en régimes, Patrice ne va pas mieux. Jusqu'au jour où le rebouteux mystique, d'une caresse d'aveugle lui injecte la foi comme on redonne la vie.
Instantanément, Patrice marche, Patrice court.

Le handicapé deviendra, plus tard, prof de sport ; et aussi, instructeur d'escalade, l'été dans les Calanques.
Patrice explique avec sérieux, posément. Sa vie et sa vision des choses s'en trouvent à tout jamais modifiées. Il ne cherche pas plus loin. Il ne sait pas s'il croit en Dieu ou en son propre cerveau. Mais rien ne sera plus jamais comme avant. Il raconte des faits, sans prosélytisme, à une oreille attentive et enregistreuse.
La nuit noire du jeune homme passionné et assoiffé sera blanche. Qu'importe !
Ces deux-là aiment la vie et personne n'oserait dire que cela pourrait changer un jour.

Lorsque Patrice se tut, le soleil caressait déjà le "doigt de Dieu" qui veille et veillera toujours sur la Calanque d'En-Vau et l'esprit des deux grimpeurs insomniaques.

9 avril 2012

Un bouquet de tulipes jaunes

 

b« Si je ne trouve pas à me garer tout de suite, je me mets n'importe où, c'est décidé ». Aussitôt dit, aussitôt fait. La voiture trouve sa place sur le trottoir du boulevard Ney, entre deux platanes et advienne que pourra.

 

C'est que l'heure est grave. On m'a dit « Vas-y aujourd'hui, demain, c'est pas sûr que... »
J'y suis. 
La peur au ventre, j'essaie de me décontracter en fredonnant «Bichat m'était alors inconnu, je n'y étais jamais venu... » C'est idiot et pourtant ça me réchauffe un peu. Dehors, il fait froid et dedans c'est glacial. Cet hôpital est glacial.
L'entrée. L'ascenseur. Le couloir. J'approche... On me déguise pour me protéger.

 

Je vais rendre visite à Jean-Claude. Je fais bien et j'ai mal. Demain on m'annoncera qu'il est mort.

 

Jean-Claude ne ressemble pas à Jean-Claude. Je parle à un squelette prisonnier de tuyaux, un corps lyophilisé qu'on voudrait regonflé.
Lucide, il sait tout et me le dit. Je l'écoute. Je l'entends.
J'ai trente ans mais trente ans de rien, de vide. Comme lui, je suis décharné, mais de l'intérieur. Je ne suis qu'enveloppe, apparence. Et pourtant, il me faut parler. Parler sans avoir l'indécence de rassurer faussement. Parler pour l'ici et maintenant. Parler pour l'être et pas pour le devenir. Parler pour respecter.

 

Putain de sida ! En cette année 1988, le mot est encore tabou. Jamais il ne sera prononcé concernant Jean-Claude. Par personne.
Le grand public sait peu de choses, il a peur. Je me souviens même de ceux qui croient  que le groupe sanguin   O+ est plus exposé parce que zéro positif et séropositif, ça sonne pareil ; lorsque je dirai que j'ai tenu la main de Jean-Claude, on me dira que j'ai été imprudent. C'était tout ce que je pouvais faire. Lui parler, lui prendre la main, le regarder.
Lui sourire, je n'ai pas pu. J'aurais dû, je n'ai pas pu.
J'avais droit à dix minutes, je n'ai pas demandé de prolongations, j'étais au bout de tout. Comment peut-on se fatiguer à ce point en dix minutes ?

 

La voiture est toujours là et sans P.V. Le « Merde » hurlé sur le volant et les kilomètres de larmes pour atteindre le bureau me font reprendre pied. Et je me présente, digne.

 

Nous, ses collègues, étions la famille de Jean-Claude. La vraie, celle du fin fond des brumes normandes, modeste, inculte, vulgaire avait dit ne plus avoir de fils depuis que celui-ci avait rejoint la capitale espérant trouver plus d'anonymat et d'ouverture d'esprit. Jean-Claude n'était pas encore malade, seulement homosexuel. Tare suffisante pour le couper de ses racines.
« Anormal » avaient décrété ses géniteurs. Le pays de Caux, qui n'y est pour rien, devint dans ma révolte un  pays de cons.

 

Jean-Claude, c'était l'humour et la gentillesse. Encyclopédie vivante des chansons de Dalida, il chantait au bureau, en voiture, partout.
Le vendredi midi, tous les vendredis midi, il achetait un bouquet de tulipes jaunes « pour la maison ». Un jour, je l'accompagnai. Boulangerie pour le sandwich. Fleuriste pour les fleurs. Banque pour les billets.

 

Face à l'écran du guichet automatique, il fait mine de s'affoler :
« Mais, ils sont cinglés. Il n'en est pas question »
Je regarde et je lis : « Please, input your PIN »
« ça va pas la tête » reprend-il.
C'est seulement en quittant l'entreprise que j'ai pu me défaire de la pensée hebdomadaire de cette anecdote. 
Depuis, les distributeurs ont appris le français mais, quoiqu'il arrive, toutes les tulipes seront toujours jaunes.

 

Jean-Claude est  parti le lendemain de ma visite.
Il venait d'avoir trente-six ans. Bon comme du pain blanc, il est mort comme un Homme.

25 mars 2012

Une prison dorée

24 mars 2012 (13)Eric et Belinda n'auront jamais d'enfants.
Tous les tests médicaux ont pourtant dit le contraire. Leurs vingt années de vie commune ne sont pas parvenues à assouvir le désir d'enfant du couple. C'est du moins ce qu'ils claironnent partout.

Un couple exemplaire pourtant. Bien sous tous rapports et des rapports sans filet. Tout aurait pu, aurait dû, rendre des grands-parents heureux.
Car c'est là que le bât blesse. Eric et Belinda vivent depuis vingt ans "sous surveillance"
Les parents de l'un voisinent avec ceux de l'autre, au-dessus de l'appartement conjugal. Et des odeurs de cuisine qui mouchardent le menu par les gaines d'aération aux ébats qui traversent les plafonds, en passant par les courriers qui se trompent de boite aux lettres, tout est en place pour bouffer l'intimité et bloquer la libido.
Eric, lui, s'en fiche un peu. Et Belinda, elle, dit qu'elle s'en fiche.

C'est que les grands-parents, qu'ils ne seront jamais, ont su y faire. L'appartement comme cadeau de mariage sert parfaitement de boulet au pied. La carrière et l'excellent salaire d'Éric offerts par beau-papa tue dans l'œuf toute velléité d'émancipation. Et la femme de ménage qui s'occupe des trois appartements s'est rendue indispensable.
Les prisons dorées sont plus prisons que dorées, surtout quand les voisins ont les doubles des clés.

Les plus lucides souffrent toujours plus. Et c'est Belinda qui endosse le rôle. Deux décennies de remontrances, de promesses et de déni du mari ne sont pas venues à bout de cette impossibilité à être heureuse dans ces conditions. La jolie femme a compris que rien ne changerait jamais et qu'il était illusoire de croire qu'un jour, ils décideraient, seuls, de leur vie. Elle sait aussi à quel point elle est responsable de la situation. Geôlière et prisonnière à la fois.

Tout foutre en l'air, elle y a pensé bien sûr. Tenter de modeler la situation aussi. Conventionnelle par habitude plutôt que par nature, elle ne bougera pas. C'est sa décision. Mais ne rien faire, c'est choisir le camp de l'établi. 
Elle arrangera sa conscience avec l'idée du sacrifice et la grande générosité qu'il y a à ne pas faire de peine. Et le tour sera joué. 
Une croix sur la vie et la vie comme croix.

Elle saura faire semblant, paraitre, donner le change.
Mais, Eric et Belinda n'auront jamais d'enfants.
Voilà ce qui arrive quand on fait l'amour ensemble, chacun de son côté.

8 février 2012

Les gens vont mal

Notre œil est-il plus aiguisé, nos oreilles plus réceptives ? Sommes-nous moins pudiques, plus confidents, plus exigeants ?
Un peu de tout cela.
Toujours est-il que chacun fait l'expérience que les gens vont mal.
Bien sûr, ce sont nos propres doutes, nos questionnements, nos maux à nous qui nous révèlent ceux des autres.

Et plus les gens vont mal, plus ils le voient, plus ils l'admettent même, plus ils continuent à chercher sous le réverbère les clés qu'ils ont perdu ailleurs.
Et  la vie moderne et son actualité n'étant pas avares de projecteurs, nous voilà tête baissée à tuer le temps cherchant pour chercher.
La surabondance d'informations a multiplié les responsables et les raisons de ne pas trouver. Quand ce n'est pas à cause du voisin, du conjoint, du patron ou du commerçant, c'est à cause de la guerre, de la météo, des politiques et des traders.

Je pense, bien sûr, que nous avons le devoir de gérer une situation, quelle qu'elle soit, même si nous n'en sommes pas responsables. Nous avons à chaque instant, à trouver des solutions et rechercher une harmonie avec des circonstances nouvelles. (Si on emboutit ma voiture après avoir grillé un feu rouge, à quoi me sert de gueuler, même une seconde, contre le responsable. J'ai une situation nouvelle. Je dois éviter un autre accident, appeler les secours, éviter un échauffement, appeler mon assurance, chercher un garagiste et faire en sorte de ne pas être traumatisé moi-même et que cette expérience serve positivement de leçon au chauffard - Je subis la situation mais je ne suis pas victime. Dès que le mal est fait, nous sommes dans une autre scène)
Appliquons ce principe à tous les niveaux et nous serons acteurs et pourrons rebondir et faire rebondir les autres au lieu de sauter par la fenêtre.

Je disais donc, les gens vont mal. C'est ce que chacun d'entre nous constate dans son quotidien. Et pourtant, combien, lorsqu'ils nous parlent, acceptent la charge de la situation ? Très peu. C'est toujours à l'extérieur, l'Autre, l'environnement, qu'on impute la responsabilité, à l'effet déclencheur, dit-on. L'effet déclencheur est toujours un effet révélateur. Il avait un terrain favorable. Un terrain que nous-mêmes avons rendu favorable.

Il est bien sûr possible de faire autrement. Il suffirait de concentrer nos efforts sur l'évolution de l'individu, sur sa prise en charge de lui-même, par lui-même.
Autonomie et Liberté n'ont pas de prix.
Mais ce serait trop facile. D'ailleurs on vous dit toujours que ce n'est pas si simple, que c'est plus complexe que ça, que les doux rêveurs etc. etc.
Pendant ce temps-là, on cherche des subventions en empilant de la paperasse, on signe des conventions pour se donner bonne conscience, on crée des associations pour occuper des intermédiaires, on bureaucratise pour se protéger et on regroupe  pour mieux manipuler. On tourne en rond.
Abêtir l'Autre c'est tellement mieux, lui faire croire qu'il est victime et incapable de réfléchir par lui-même, incapable d'analyse et d'action appropriée, c'est de la concurrence en moins pour sa rente de situation de p'tit chef et de la graine de révolutionnaire tuée dans l'œuf.
Voilà pourquoi les gens vont mal. On oublie de leur dire qu'ils sont le résultat de leurs comportements, que les chaines qu'ils ont ne sont qu'illusion, qu'ils seront libres lorsqu'ils le décideront. Et ce jour-là les p'tits chefs de la société seront obligés de s'adapter.

9 janvier 2012

Solange

Solange avait, depuis peu, la soixantaine adolescente. Pas de ces retours de jeunesse assumés. Non. Plutôt une excitation inconsciente et effrénée vers des limites toujours repoussées.
Exprimé comme un rattrapage de temps perdu, sans doute alimenté par une mode du "s'occuper de soi" déclinée sur papier glacé ou écrans de télé-raccoleuse, le changement de vie de Solange dépassait le ridicule.
Récupérer un deuxième prénom jadis haï, le placer devant le sien, écraser le tout, pour présenter une Marisol toute neuve, prouve la créativité dont on est capable lorsqu'on veut faire table rase du passé.
La répprobation de ses proches, amis, voisins et enfants même, n'eût jamais aucun effet sur les divagations de Marisol. Aucune menace sous-jacente, chantage explicite ou affrontement direct n'ont pu arrêter la tornade grisonnante. Il fallait faire avec. Pas par respect des choix des autres, mais par impossibilité à expliquer rationnellement des comportements irrationnels. Deux plans aussi parallèles ne se rencontreront jamais.
Mais, c'est la morale qui parle et la morale est, non seulement subjective, mais emmerdeuse et castratrice. Exit la morale ! Marisol s'en tape. Marisol n'est plus Solange et ses valeurs ont changé de bord.
 
Quelqu'un qui manquerait d'informations verrait dans le personnage une cougar dévoreuse, une ogresse épicurienne ou une pétasse extravagante. Pas du tout ! Marisol se libère et pète les plombs dans "l'air de son temps". Adepte des camps de naturisme et des chemins de grande randonnée, elle s'éclate Bio griffée Vieux-Campeur, elle s'envoie en l'air aux antipodes dès qu'un forfait tout compris attire sa souris d'ordinateur, elle se goinfre au guide Michelin et se ruine en chevaux de course ou sous le capot en exprimant sa simplicité. Son compte en banque de baby-boomeuse lui permet ses excès et son troisième veuvage nous permet nos suspicions.
Poussée par la peur de manquer de temps pour tout claquer, elle vit à cent à l'heure et n'oublie jamais de prouver son affection par des cadeaux hors de prix.
Ses choix humanitaires et autres convictions tiermondistes ont vécu. C'était la vie d'une autre. Ne lui en parlez pas, son ardoise magique a tout effacé un matin d'hiver, au retour d'un cimetière.
Elle venait d'enterrer sa dernière chaîne, sa dernière attache : Une mère adorée partie à son heure. Plus rien ne retenait Solange d'exploser sans scrupules. Le passé passé, la ligne d'arrivée inconnue, son destin en mains, elle décida ce matin-là du sprint final. Elle y mit, sans le savoir, quelques formes et qualifia sa fuite en avant d'hédonisme responsable.
Le tour était joué. Les jugements seraient jalousie et les critiques mesquinerie.
Marisol vit la vie de Marisol plus courte que celle Solange et elle le sait. Alors, jugeons, moralisons, agaçons-nous, fuyons même, elle s'en fout comme de sa première Solange, demain elle a rendez-vous avec son chirurgien esthétique, celui qu'elle a rencontré dans un trek en Tanzanie l'été dernier.
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